20
Dernier grand acte d’égoïsme

 

 

Il donna un coup de pied dans le sol, faisant gicler de la boue, et se cogna brutalement un orteil contre une grosse et inamovible pierre enfouie dont on ne discernait qu’un centième de la taille réelle. Jaka n’en éprouva même pas de douleur, la déchirure qu’il ressentait dans le cœur – non, pas dans le cœur mais plutôt dans son orgueil – était bien pire. Mille fois pire.

Le mariage se tiendrait au changement de saison, à la fin de cette semaine. Le seigneur Féringal s’emparerait alors de Méralda et de l’enfant de Jaka.

— Où est la justice là-dedans ? s’écria-t-il.

Il se baissa pour ramasser la pierre mais devina sa masse cachée. Il en ramassa alors une autre, qu’il jeta au loin, manquant de peu deux vieux fermiers penchés sur leurs binettes.

Ces deux personnages, parmi lesquels le vieux nain au nez pointu, se précipitèrent vers Jaka en l’inondant de jurons, cependant le jeune homme, plongé dans ses propres problèmes, ne comprit pas qu’il venait de s’en créer un autre puisqu’il ne vit même pas arriver ses collègues.

Jusqu’au moment où il se retourna et les trouva juste derrière lui. Le nain revêche bondit et assena à l’adolescent un coup de poing en plein visage, qui l’étala à terre.

— Foutu stupide gamin ! grogna le nain, avant de faire demi-tour pour s’en aller.

Humilié et à peine capable de réfléchir, Jaka le frappa du pied à hauteur des chevilles et le fit trébucher. En un instant, le jeune homme fut relevé par l’autre fermier.

— Tu cherches à te faire tuer ou quoi ? lui demanda ce dernier en le secouant vigoureusement.

— Peut-être, oui, répondit Jaka, avec un immense soupir exagéré. Oui, il n’y a plus de joie dans ce corps.

— Ce gamin est cinglé, dit à son compagnon le fermier qui soutenait Jaka.

Le nain s’était rapproché, les poings serrés et la mâchoire tendue sous son épaisse barbe. L’autre paysan fit se retourner Jaka et le poussa vers le nain, qui ne le rattrapa pas mais le repoussa de l’autre côté, suffisamment haut dans le dos pour le faire tomber, le visage dans la terre. Le nain se jucha sur le creux des reins de Jaka et y appuya de tout son poids avec ses bottes aux semelles renforcées.

— Fais donc attention où tu lances tes pierres, dit-il, avant de soudain accentuer sa pression, empêchant le malheureux garçon de respirer, l’espace de quelques secondes.

— Ce gamin est cinglé, répéta ensuite l’autre, quand les deux fermiers s’éloignèrent.

Toujours allongé sur le sol, Jaka se mit à pleurer.

 

* * *

 

— C’est cette bonne nourriture, au château ! fit remarquer Mme Prinkle.

La vieille femme grisonnante, dotée d’un visage souriant et dont la peau, qui pendait en d’innombrables plis, semblait trop large pour ses os, agrippa Méralda par la taille et la pinça.

— Comment veux-tu que ma robe te convienne si tu changes de taille chaque jour ? Tu as grossi de trois doigts, ma fille !

Méralda rougit et détourna le regard, peu désireuse de croiser celui de Priscilla, qui se tenait non loin de là, à les observer et les écouter attentivement.

— C’est vrai que j’ai faim ces derniers temps, répondit la jeune femme. J’avale tout ce qui me tombe sous la main ! Je crois que je suis un peu nerveuse.

Elle jeta ensuite un regard anxieux à Priscilla, qui avait fait de gros efforts pour l’aider à perdre son accent paysan. Bien que visiblement pas convaincue, la sœur du seigneur hocha la tête.

— Tu ferais mieux de trouver une autre façon de te calmer si tu ne veux pas que ta robe se déchire quand tu marcheras aux côtés du seigneur Féringal, dit Mme Prinkle, qui fut alors prise d’un fou rire, énorme masse de peau lâche qui gigotait.

Même si elles n’étaient ni l’une ni l’autre amusées par cette éventualité, Méralda et Priscilla se joignirent à elle de bon gré.

— Pouvez-vous ajuster correctement cette robe ? s’enquit Priscilla.

— Oh ! Ne craignez rien, je vais me débrouiller pour que la gamine soit magnifique pour son grand jour.

Aidée par Priscilla, Mme Prinkle commença à rassembler son fil et ses accessoires de couture, tandis que Méralda ôtait rapidement sa robe, récupérait ses effets et quittait en toute hâte la pièce.

Dès qu’elle se fut éloignée des deux autres, elle posa les mains sur son ventre indéniablement arrondi. La nuit passée en compagnie de Jaka, dans le champ baigné par la clarté des étoiles, datait à présent de deux mois et demi, et si elle doutait que le bébé ait déjà assez grandi pour tendre ainsi la peau de son ventre, elle devait bien s’avouer que son appétit s’était intensifié ces derniers temps. Peut-être cela n’était-il dû qu’à son état de nervosité, peut-être nourrissait-elle deux personnes, mais quelle qu’en soit la raison, il lui faudrait se montrer prudente au cours de la semaine à venir afin de ne pas attirer l’attention sur elle.

— Elle nous rapportera la robe demain matin, dit Priscilla, surgie derrière elle, ce qui la fit sursauter. (Et d’ajouter, une main sur l’épaule de l’adolescente :) Quelque chose ne va pas, Méralda ?

— Ne seriez-vous pas quelque peu tendue à l’idée d’épouser un seigneur ?

— Non, répondit Priscilla, en haussant ses sourcils finement épilés. C’est une situation que je ne risque pas de devoir affronter.

— Mais si tel était le cas… Si vous étiez née paysanne et que le seigneur…

— Impossible. Si j’étais née paysanne, je serais alors une personne totalement différente ; votre question n’a aucun sens.

Méralda la regarda, embarrassée.

— Je ne suis pas une paysanne parce que je ne possède ni l’âme ni le sang d’une paysanne, poursuivit Priscilla. Vous autres, les gens du peuple, pensez que c’est par hasard que vous êtes nés dans vos familles et nous, les nobles, dans les nôtres, mais ce n’est pas le cas, ma chère. Chacun a sa condition en lui, cela ne dépend pas uniquement de son entourage.

— Vous vous considérez donc meilleure que moi ? lâcha franchement Méralda.

— Pas meilleure, ma chère, répondit la sœur du seigneur, avec un sourire mais non sans une certaine condescendance. Différente. Nous sommes chacune à notre place.

— Et la mienne n’est pas auprès de votre frère, c’est bien cela ? conclut la jeune femme.

— Je n’approuve pas le métissage, reconnut Priscilla.

Les deux femmes échangèrent alors un long regard gêné.

Qu’attendez-vous pour l’épouser vous-même, dans ce cas ? songea Méralda, qui parvint toutefois à retenir ses mots.

— Néanmoins, je respecte le choix de mon frère, poursuivit Priscilla, sans se départir de son ton dénigrant. Libre à lui de ruiner sa vie comme il l’entend. Je ferai mon possible pour vous hisser au plus près de son niveau. Je vous aime bien, ma chère.

Et la vieille fille d’effleurer de la main l’épaule de la future mariée.

Oui, au point de me laisser dépoussiérer vos meubles, enragea Méralda en elle-même. Elle aurait voulu s’opposer ouvertement au raisonnement de Priscilla, cependant elle ne se sentait pas particulièrement courageuse à cet instant précis. Non, loin de là, avec le bébé, l’enfant de Jaka, qui grandissait en elle, elle était vulnérable et ne s’estimait pas en état d’affronter la cruelle Priscilla Auck.

 

* * *

 

Comme en témoignait le soleil, déjà haut dans le ciel et dont les rayons inondaient sa chambre, la matinée était déjà bien avancée quand Méralda ouvrit les yeux. Saisie d’une soudaine inquiétude, elle bondit de son lit. Pourquoi son père ne l’avait-il pas réveillée plus tôt pour les habituelles tâches ménagères ? Où se trouvait sa mère ?

Elle ouvrit le rideau qui la séparait de la salle principale et se calma aussitôt ; la famille était installée autour de la table. La chaise de sa mère avait été reculée et Biaste avait les yeux levés vers le plafond. Un homme à l’allure bizarre, vêtu de quelque chose qui ressemblait à une robe religieuse, prononçait des incantations à mi-voix tout en lui tapotant le front avec une huile à la senteur plutôt agréable.

— Papa ? dit-elle, avant d’être immédiatement interrompue par Dohni, qui leva une main pour lui intimer le silence et lui fit signe de s’approcher de lui.

— C’est le veilleur Beribold, lui expliqua-t-il. Du temple de Heaum, à Luskan. Le seigneur Féringal lui a demandé de rendre ses forces à ta mère pour le mariage.

— Vous pouvez la guérir ? demanda Méralda, qui n’en revenait pas.

— C’est une maladie redoutable et votre mère a du mérite d’avoir lutté avec tant de force, répondit le veilleur Beribold, qui se hâta, avec un sourire, de rassurer l’adolescente, qui commençait déjà à l’assaillir de questions. Le haut veilleur Risten et moi-même ne quitterons Auckney que lorsque votre mère sera guérie et débarrassée de ce mal.

Tori poussa un glapissement et le cœur de Méralda s’emplit de joie, alors que le bras puissant de son père la prenait par la taille et la serrait contre lui. Cette bonne nouvelle lui semblait tout simplement incroyable ; si elle savait que le seigneur Féringal ferait soigner sa mère, elle n’avait jamais imaginé qu’il s’en occuperait avant le mariage. La maladie de sa mère était comme une immense épée que Féringal brandissait au-dessus de la tête de sa promise, or il venait de la retirer.

Elle songea à la confiance dont le seigneur Féringal faisait preuve à son égard en envoyant de sa propre initiative un guérisseur à sa famille. Jaka n’aurait jamais renoncé à un tel avantage. Ni pour elle ni pour personne. Féringal, lui – et ce n’était pas un idiot –, lui faisait suffisamment confiance pour ôter cette épée.

Méralda ne put s’empêcher de sourire quand elle comprit cela. Après avoir si longtemps considéré sa relation avec Féringal comme un sacrifice consenti pour le bien de sa famille, elle entrevoyait soudain la vérité avec un regard plus objectif. Cet homme bon, séduisant et riche l’aimait sincèrement. Seul son amour obsessionnel pour un garçon égoïste l’avait empêchée de partager ses sentiments. Il était étonnant de songer qu’elle avait elle aussi été soignée de son mal par la présence du guérisseur de Féringal.

Elle regagna sa chambre afin de s’y vêtir pour la journée, impatiente retrouver son futur époux, dont elle imaginait – non, à vrai dire, elle en était certaine – qu’elle le considérerait désormais d’une façon différente.

Elle passa l’après-midi en sa compagnie, ce qui fut leur dernière entrevue avant le mariage. Féringal, enthousiasmé par les préparatifs et la liste des invités, ne dit pas un mot au sujet de la visite du veilleur chez Méralda.

— Vous avez envoyé votre guérisseur chez moi, ce matin, finit-elle par laisser échapper, incapable de contenir plus longtemps ses pensées. Avant le mariage. Ma mère étant malade et vous seul détenant le pouvoir de la soigner, vous auriez pu faire de moi votre esclave.

Féringal se tourna vers elle avec un air étonné, comme s’il ne saisissait pas où elle voulait en venir.

— Pourquoi souhaiterais-je une telle chose ?

Cette honnête et innocente question confirma à Méralda ce qu’elle avait déjà deviné. Un sourire vint embellir son visage déjà magnifique et elle déposa subitement un baiser appuyé sur la joue de Féringal.

— Merci de vous être occupé de ma mère et de ma famille.

Le cœur du jeune homme fut inondé de joie, comme le démontra son visage radieux. Quand elle fit mine de l’embrasser de nouveau, il tourna la tête de façon à lui effleurer les lèvres. Elle lui rendit son baiser avec fougue, convaincue que, aux côtés de cet homme bon et merveilleux, sa vie serait plus que supportable. Bien plus.

Alors qu’elle revivait la scène en pensée, sur le chemin du retour, la joie de Méralda s’estompa brutalement quand elle songea au bébé et au mensonge qu’il lui faudrait soutenir jusqu’à la fin de ses jours. Comme elle se sentait méprisable ! Elle se savait uniquement coupable d’avoir commis une erreur de jugement, néanmoins la réalité des faits aggraverait considérablement sa faute et ferait passer son désir d’une nuit d’amour pour une trahison.

Ainsi, c’est avec un mélange de crainte, d’espoir et de joie que, le matin suivant, Méralda fit son entrée dans le jardin, où étaient déjà arrivés l’ensemble des nobles d’Auckney, d’importants témoins, sa propre famille, la sœur du seigneur Féringal et l’intendant Témigast, tous souriants et les yeux rivés sur elle. Le visage rayonnant, Liam Portenbois était également présent, vêtu de ses plus beaux habits et chargé de faire entrer les invités, tandis que de l’autre côté du jardin se trouvait le haut veilleur Kalorc Risten, un prêtre de grade élevé du temple de Heaum, le dieu de prédilection de Féringal, dans son armure étincelante et équipé de son heaume à plume relevé.

Quelle journée et quel déploiement pour cet événement ! Priscilla avait remplacé ses fleurs estivales par des chrysanthèmes et des soucis qui fleurissaient en automne. Ces nouvelles plantations étaient certes moins colorées que les précédentes, cependant elle y avait ajouté des rubans aux tons vifs afin de compléter leurs teintes. Il avait plu peu avant l’aube mais les nuages s’en étaient allés, ne laissant qu’une senteur propre dans l’air. Quelques flaques, sur le mur, et les gouttelettes sur les pétales reflétaient de façon éblouissante les rayons du soleil matinal. Le vent océanique lui-même semblait purifié en ce jour.

Le cœur de Méralda se fit plus léger. Sur le point d’être mariée, elle ne serait plus vulnérable. La seule chose qu’elle redoutait désormais était de trébucher en s’approchant de l’estrade où se tiendrait la cérémonie, un petit podium orné en son sommet d’un gant de guerre et à l’avant d’une tapisserie représentant un œil bleu.

Ce bien-être fut encore accentué quand elle aperçut le visage épanoui de sa mère, le jeune assistant de Kalorc Risten ayant véritablement fait des miracles. Méralda, qui avait un temps craint que sa Biaste ne soit pas suffisamment remise pour assister à la cérémonie, la voyait aujourd’hui rayonnante, les yeux brillants d’une santé qu’elle n’avait pas connue depuis des années.

Elle-même resplendissante, ses peurs quant à son secret écartées, la jeune femme avança vers l’estrade. Sans trébucher. Loin de là. Les témoins de la scène eurent la sensation que Méralda flottait, en mariée parfaite, et que si elle s’était quelque peu épaissie à hauteur des hanches, c’était qu’elle se nourrissait convenablement.

Parvenue auprès du prêtre, elle se retourna pour assister à l’entrée du seigneur Féringal, vêtu de son uniforme complet de commandant de la garde du château d’Auck, une cotte de mailles étincelante, avec brocart d’or, un casque à plume et une immense épée. Nombre de personnes présentes eurent le souffle coupé, tandis que quelques femmes gloussèrent. Méralda songea de nouveau que son union avec cet homme n’était en fin de compte pas une si mauvaise chose. Féringal lui semblait extrêmement attirant, d’autant plus à présent qu’elle connaissait la vérité au sujet de son cœur généreux. Certes, sa fringante tenue guerrière était essentiellement d’apparat, néanmoins il était impressionnant et avait fière allure.

Tout sourires, Féringal la rejoignit devant le haut veilleur, qui commença la cérémonie en prenant solennellement à témoin les personnes réunies pour cette union sacrée. Le regard de Méralda, qui écoutait à peine les paroles de Kalorc Risten, s’attarda davantage sur sa famille que sur le seigneur Féringal. Puis on lui tendit un calice de vin, dont elle but une gorgée avant de le tendre à son promis.

Les oiseaux chantaient autour d’eux, les fleurs étaient spectaculaires et ce couple magnifique et heureux – ce mariage était conforme aux rêves de toutes les femmes d’Auckney. Ceux qui n’assistaient pas à la cérémonie étaient ensuite invités à saluer le couple devant la porte du château. Pour les miséreux, ce spectacle constituerait un plaisir par procuration. Sauf pour l’un d’entre eux.

— Méralda !

Le cri déchira l’air matinal et fit s’envoler un groupe de mouettes des falaises qui se dressaient à l’est du château. Les yeux se tournèrent tous vers la voix, qui provenait du sommet de l’une de ces crêtes. S’y tenait un personnage solitaire, la silhouette aux épaules affaissées caractéristique de Jaka Sculi.

— Méralda ! cria de nouveau l’inconscient jeune homme, comme si ce nom lui était arraché du cœur.

Méralda se tourna vers ses parents, son père déjà sur le point de s’énerver, puis vers son futur mari.

— Qui est-ce ? lui demanda ce dernier, clairement troublé.

La mariée balbutia quelques mots incompréhensibles et secoua la tête, extrêmement déçue.

— Un idiot, parvint-elle finalement à articuler.

— Tu ne peux pas épouser le seigneur Féringal ! s’écria Jaka, qui s’approcha dangereusement du bord de la falaise. Partons tous les deux d’ici, Méralda, je t’en supplie !

Le seigneur Féringal, comme tout le monde, avait les yeux rivés sur la jeune femme.

— C’est un ami d’enfance, se hâta-t-elle de préciser. Un idiot, je vous dis, un garçon dont il ne faut pas se soucier. (Voyant que ses mots ne produisaient que peu d’effet, elle posa la main sur l’avant-bras de Féringal et le pressa contre elle, avant d’ajouter, tentant désespérément de le rassurer :) Je suis ici pour vous épouser car nous avons trouvé un amour que je n’aurais jamais cru possible.

— Méralda ! hurla encore Jaka.

Le seigneur Féringal jeta un regard noir en direction de la falaise.

— Que l’on fasse taire ce fou ! ordonna-t-il, avant de se tourner vers le haut veilleur Risten. Projetez une sphère de silence sur sa stupide tête.

— Trop loin, répondit en secouant la tête Risten, qui n’avait de toute façon pas préparé un tel sort.

À l’autre bout du jardin, l’intendant Témigast, qui redoutait déjà sur quoi pouvait déboucher cette interruption, ordonna aux gardes de réduire au silence cet importun.

Tout comme Témigast, Méralda, terriblement effrayée, se demandait jusqu’à quel point Jaka se montrerait stupide. Cet idiot dévoilerait-il quelque chose susceptible de lui coûter son mariage, leurs réputations et peut-être même leurs vies ?

— Viens avec moi et partons d’ici, Méralda, cria le jeune homme. C’est moi qui suis ton véritable amour.

— Qui est ce crétin ? s’enquit le seigneur Féringal, plus qu’inquiet.

— Un paysan qui pense être amoureux de moi, murmura-t-elle, alors que la foule ne quittait pas le couple du regard.

Comprenant que le danger était proche, notamment en voyant les yeux de Féringal briller d’une lueur enragée, Méralda le regarda droit dans les yeux avant de lui déclarer de façon catégorique et sans lui permettre de douter d’elle :

— Je n’aurais quoi qu’il en soit rien à faire avec cet idiot, même si nous n’étions pas sur le point de nous marier ou si nous n’avions pas trouvé l’amour ensemble.

Le seigneur Féringal la dévisagea longuement, incapable de rester en colère après avoir entendu son aimée s’exprimer de façon manifestement si honnête.

— Dois-je poursuivre, seigneur ? demanda le haut veilleur.

Le maître des lieux leva la main :

— Quand ce fou aura été éloigné.

— Méralda ! hurla soudain Jaka, qui avança d’un pas sur la falaise. Si tu ne me rejoins pas, je me jette dans le vide et je m’écrase sur les rochers !

Plusieurs personnes de l’assistance poussèrent des cris, contrairement à Méralda, qui regardait froidement Jaka, si furieuse qu’elle ne se souciait guère de voir cet imbécile mettre sa menace à exécution, d’autant qu’elle le savait incapable de passer à l’acte. Il n’aurait jamais le courage de se tuer et ne cherchait, en agissant ainsi, qu’à la faire souffrir, l’humilier en public et la trahir vis-à-vis du seigneur Féringal. Ce n’était qu’une revanche minable, pas de l’amour.

— Ne bouge pas ! cria un garde, qui s’approchait à grands pas de Jaka.

Ce dernier se retourna mais son pied glissa dans la manœuvre, si bien qu’il se retrouva sur le ventre. Il tenta de s’agripper à la roche mais glissa encore un peu plus, au point que le bas de son corps fut bientôt suspendu au-dessus d’un vide de trente mètres, au-dessus de rochers acérés.

Le garde se lança en avant mais intervint trop tard.

— Méralda !

Ce hurlement désespéré fut le dernier mot prononcé par Jaka, qui disparut en contrebas.

Assommée par la tournure dramatique des événements, Méralda se sentit déchirée entre un chagrin incrédule au sujet de Jaka et la conscience du regard scrutateur de Féringal braqué sur elle, guettant la moindre de ses réactions. Elle comprit aussitôt que la plus petite erreur de sa part en cet instant se retournerait contre elle quand son état deviendrait une évidence.

— Par les dieux ! s’exclama-t-elle, une main sur la bouche. Oh ! Le pauvre garçon !

Elle se tourna vers Féringal et secoua la tête en prenant un air perplexe, ce qui n’était d’ailleurs pas une simulation, son cœur alors agité de haine, d’horreur et de souvenirs de sa passion avec ce paysan. Elle haïssait Jaka – et à quel point ! – pour sa réaction quand elle lui avait appris qu’elle était enceinte et elle le haïssait encore davantage pour la stupidité dont il avait fait preuve aujourd’hui. Malgré cela, elle ne pouvait oublier les sentiments qu’elle lui avait portés, ni la façon dont le simple fait de l’apercevoir la faisait bondir de joie seulement quelques mois auparavant. Méralda savait que le dernier cri de Jaka la hanterait pour le restant de ses jours.

Elle dissimula ces pensées et réagit à cet épouvantable événement de la même façon que ceux qui l’entouraient, faisant mine d’être choquée et horrifiée.

Le mariage fut reporté. La cérémonie devait se dérouler trois jours plus tard, par une matinée grise, sous un épais manteau nuageux. C’était dans l’ordre des choses.

 

* * *

 

Méralda sentit son mari hésitant le reste de la journée, lors de la grande fête à laquelle tout Auckney était convié. Voyant qu’il restait fermé quand elle tentait de l’approcher pour qu’il lui en parle, elle comprit qu’il avait peur. Comment Féringal aurait-il pu ne pas avoir peur ? Jaka était mort en hurlant le nom de sa future épouse.

Néanmoins, tandis que le vin coulait à flots et que la joie était partout présente, le seigneur Féringal parvint à afficher de nombreux sourires, qui se faisaient plus éclatants encore quand Méralda lui murmurait à l’oreille combien elle était impatiente de passer leur première nuit ensemble et consommer leur amour.

En réalité, la jeune femme était plutôt surexcitée par l’approche de ce moment, et même un peu craintive. Bien entendu, il se rendrait compte qu’elle n’était plus vierge, cependant ce n’était là pas chose inhabituelle chez les jeunes femmes élevées dans le sévère environnement des fermes, travaillant dur et souvent à cheval, et pouvait facilement être expliqué. Elle se demanda même si elle n’avait pas intérêt à révéler à son mari la vérité, au sujet de son état, et lui avouer le mensonge qu’elle avait imaginé pour le justifier.

Non, décida-t-elle finalement, alors que le couple s’engageait dans l’escalier qui conduisait à leurs appartements privés. Non, cet homme avait subi suffisamment de troubles ces derniers jours. Cette nuit serait dédiée au plaisir de Féringal et non à sa souffrance.

Méralda comptait bien s’en assurer.

 

* * *

 

La première semaine de mariage fut parfaite, tout en amour et en sourires, ceux de Biaste Ganderlay touchant Méralda plus que les autres. Sa famille ne s’était pas installée au château d’Auck. Elle n’osait pas le proposer à Priscilla, pas encore, mais le haut veilleur Risten avait œuvré sans relâche auprès de sa mère, qu’il avait déclarée tout à fait guérie, ce que la nouvelle châtelaine constatait clairement sur le visage rayonnant de Biaste.

Elle s’était également rendu compte que, bien que secoué par l’intervention de Jaka sur la falaise, Féringal surmonterait ce drame. Il l’aimait, elle en était certaine, et s’occupait d’elle à merveille et en permanence.

Quant à Méralda, elle avait fini par clarifier ses propres sentiments à l’égard de Jaka. Bien que navrée de ce qui lui était arrivé, elle ne s’estimait pas responsable de sa mort. Il avait agi ainsi en songeant à lui, certainement pas pour elle. Elle comprenait désormais que Jaka s’était toujours comporté en pensant d’abord à lui. Elle lui conserverait pour l’éternité une petite place dans son cœur, en souvenir de leurs rêves jamais devenus réalité, mais la tristesse qui allait avec était largement compensée par le fait de savoir que sa famille vivrait mieux qu’aucun de ses membres l’avait jamais espéré. Elle finirait par installer Biaste et Dohni au château ou leur offrir leur propre domaine, puis elle aiderait Tori à trouver un mari convenable, peut-être un riche marchand, quand la fillette serait prête.

Ne restait plus qu’un seul problème. Méralda redoutait de voir Priscilla deviner son état ; si elle se montrait sympathique avec elle, sa belle-sœur lui jetait des regards qui ne trompaient pas, des regards empreints de suspicion, tout comme ceux de l’intendant Témigast. Ils n’ignoraient rien de son secret, ou en tout cas ils s’en doutaient. Quoi qu’il en soit, ils ne tarderaient pas à en être certains, comme tout le monde, ce qui constituait la seule fausse note dans l’existence sinon parfaite de la jeune femme.

Elle avait même songé à consulter le haut veilleur Risten, dont la magie pouvait peut-être l’aider à se débarrasser de son enfant, mais elle avait presque aussitôt renoncé à cette idée, et non pas par crainte de voir le prêtre la trahir. Si elle ne voulait plus entendre parler de Jaka Sculi, elle était incapable de se résoudre à détruire la vie qui s’épanouissait en elle.

Une semaine après le mariage, Méralda prit sa décision. Il lui fallut toutefois encore une semaine pour rassembler le courage nécessaire à la mise en place de son plan. Elle demanda au cuisinier de préparer des œufs pour le petit déjeuner et s’installa à table, où se trouvaient déjà Féringal, Priscilla et Témigast. Autant régler cette affaire alors que sa belle-famille était réunie.

Avant même que le cuisinier apporte les œufs, leur odeur parvint à Méralda et fit monter en elle les habituelles nausées. Elle se pencha en avant, les mains sur le ventre.

— Méralda ? s’inquiéta Féringal.

— Tout va bien, mon enfant ? ajouta Témigast.

Méralda leva la tête vers Priscilla, assise en face d’elle, et décela instantanément de la suspicion dans le regard de sa belle-sœur.

Elle se leva d’un bond et se mit aussitôt à pleurer, ce qui ne lui demanda pas un gros effort.

— Non, ça ne va pas ! s’écria-t-elle.

— Qu’y a-t-il, ma chérie ? dit le seigneur Féringal en se précipitant auprès d’elle.

— Sur la route…, expliqua Méralda entre deux sanglots. En allant chez Mme Prinkle.

— Lorsque vous avez été attaqués ? l’aida Témigast avec douceur.

— Le voleur, le grand…, pleurnicha la jeune femme. Il m’a violée !

Le seigneur Féringal recula, comme frappé par la foudre.

— Pourquoi ne pas nous en avoir parlé ? demanda l’intendant, après un instant d’hésitation durant lequel ils restèrent tous sous le choc.

Le cuisinier, entré à ce moment-là avec l’assiette destinée à Méralda, fut également pris à froid et laissa échapper le plat, qui s’écrasa par terre.

— J’avais peur de vous l’avouer…, se lamenta Méralda, en regardant son mari. J’avais peur que vous me détestiez.

— Jamais ! se défendit Féringal, qui semblait toutefois sérieusement ébranlé et ne fit pas un geste pour se rapprocher de sa femme.

— Et si vous nous en parlez aujourd’hui, c’est parce que… ? enchaîna Priscilla, dont le ton et l’expression triste de Témigast révélèrent à Méralda qu’ils avaient tous deux deviné la vérité.

— Parce que je suis enceinte, je le crains…, lâcha Méralda.

Accablée par ses propres mots et l’odeur de ces fichus œufs, elle se pencha sur le côté et vomit. Entre ses spasmes, elle entendit Féringal pousser un cri de désespoir et fut sincèrement peinée de le blesser ainsi.

Puis le silence.

Sa crise passée, Méralda n’osait pas se redresser et les affronter tous les trois du regard. Elle ignorait comment ils allaient réagir, même si elle avait déjà entendu parler du cas d’une villageoise tombée enceinte à la suite d’un viol et à qui cela n’avait pas été reproché.

Une main réconfortante se posa sur son épaule et l’aida à se lever, puis Priscilla la serra dans ses bras et lui murmura doucement dans l’oreille que tout se passerait bien.

— Que dois-je faire ? balbutia le seigneur Féringal, à peine capable de parler tant sa gorge était nouée.

Alors que Méralda, en entendant la voix de son mari, s’imaginait déjà sur-le-champ bannie du château et de sa vie, Témigast s’approcha de son maître afin de le réconforter.

— Ce n’est pas sans précédent, seigneur, dit-il. Même au sein de votre propre fief. (Trois paires d’yeux se posèrent sur l’intendant.) Il n’y a dans le cas présent aucune traîtrise. Tout au plus peut-on reprocher à Méralda de ne pas nous en avoir parlé sur le moment. Pour cela, il est légitime que vous la punissiez si vous l’estimez nécessaire, cependant j’espère que vous saurez vous montrer généreux envers cette jeune femme apeurée. (Féringal jeta un regard dur à sa femme et acquiesça vaguement.) Quant à l’enfant, son existence doit être rendue publique au plus tôt, non sans préciser de façon claire que jamais il ne sera l’héritier de votre trône.

— Je le tuerai à sa naissance ! gronda le seigneur Féringal.

Méralda se mit à sangloter et fut stupéfaite de voir Priscilla faire de même.

— Seigneur ! tempéra Témigast.

Les poings serrés le long du corps, Féringal était à bout. Méralda, qui ne perdait pas un de ses gestes, devinait toutefois que ses menaces n’étaient qu’une façon de libérer sa fureur.

L’intendant Témigast secoua la tête et tapota l’épaule du jeune homme.

— Mieux vaudrait donner le bébé à quelqu’un d’autre, dit-il. Qu’il disparaisse de votre vue et de vos vies.

Féringal interrogea sa femme du regard.

— Je ne veux pas…, répondit franchement celle-ci, avant de se reprendre. Je ne veux plus du tout penser à cette nuit… enfin, à ce moment.

Elle se mordit les lèvres, espérant que son lapsus n’avait pas été remarqué, puis fut soulagée – et de nouveau surprise – quand Priscilla resta auprès d’elle et la raccompagna jusqu’à sa chambre. Le comportement prévenant de sa belle-sœur ne se relâcha pas le moins du monde quand les deux femmes se furent suffisamment éloignées pour ne plus être entendues par le seigneur et l’intendant.

— Je n’ose imaginer votre douleur, dit Priscilla.

— Je suis désolée de ne pas m’être confiée plus tôt.

— C’était sans doute trop douloureux, dit Priscilla en caressant la joue de Méralda. Vous n’avez rien fait de mal. Mon frère reste votre premier amant, le premier à qui vous vous êtes offerte de plein gré, et un mari ne peut rêver mieux.

Méralda ravala et écarta sa culpabilité, se justifiant en songeant que Féringal était en effet son premier véritable amant, le premier homme à avoir partagé son lit en étant animé de sentiments honnêtes vis-à-vis d’elle.

— Peut-être parviendrons-nous à trouver un accord à la naissance de l’enfant, ajouta de façon inattendue Priscilla. (Méralda la regarda avec curiosité, sans vraiment comprendre.) J’envisage justement de partir vivre ailleurs. Ou peut-être m’installer seule dans une autre aile du château.

Méralda plissa les yeux, étonnée, puis comprit soudain.

— Vous pensez vous occuper vous-même du bébé ! s’exclama-t-elle, si choquée que son accent paysan revint au grand galop.

— Pourquoi pas, si nous parvenons à nous entendre à ce sujet, répondit avec hésitation Priscilla.

Méralda ne sut pas quoi répondre à cela ; elle se doutait de toute façon qu’il lui serait difficile d’émettre un avis avant la naissance de l’enfant. Serait-elle assez forte pour le laisser s’éloigner d’elle ? Ou bien cela lui paraîtrait-il impossible de se séparer d’un bébé qui, après tout, était le sien ?

Non, décida-t-elle. Pas ça. Elle ne le garderait pas avec elle, ce serait impossible, quels que soient ses sentiments à son égard.

— Nous nous projetons trop loin dans l’avenir, lui fit observer Priscilla, comme si elle lisait dans ses pensées. Pour le moment, nous devons nous assurer que vous vous nourrissiez correctement. Vous êtes désormais la femme de mon frère et vous lui donnerez un jour des héritiers du trône d’Auckney. Nous devons vous conserver en bonne santé d’ici là.

Méralda avait du mal à croire ces mots et l’intérêt sincère que lui portait cette femme. Elle ne s’était pas attendue à voir son plan si parfaitement fonctionner, ce qui ne faisait qu’accentuer son sentiment de culpabilité.

Ainsi la vie se poursuivit-elle plusieurs jours durant, Méralda étant persuadée que les choses s’étaient calmées. Subsistaient néanmoins quelques tensions, notamment dans la chambre, où il lui fallait constamment flatter l’orgueil de son mari en lui assurant que le barbare qui l’avait violentée ne lui avait pas procuré le moindre plaisir. Elle alla même jusqu’à prétendre avoir presque perdu connaissance au cours de ce supplice, au point de n’avoir ensuite été certaine de l’avoir subi que lorsqu’elle avait compris qu’elle était enceinte.

Puis, un jour, un problème inattendu vint perturber le plan de Méralda.

— On dit que des bandits de grand chemin rôdent dans les environs, entendit-elle le seigneur Féringal dire à Témigast, alors qu’elle les rejoignait dans le salon.

— Ces crapules n’oseront jamais s’approcher d’Auckney, répondit l’intendant.

— Ils en sont déjà proches, insista Féringal. Le marchand Galway peut nous louer les services d’un puissant magicien.

— Malgré leurs dons, les magiciens ont besoin de savoir qui ils doivent rechercher, fit remarquer Témigast.

— Je ne me souviens pas de son visage, intervint précipitamment Méralda.

— Mais Liam Portenbois ne l’a lui pas oublié, dit Féringal, avec le sourire suffisant de quelqu’un qui cherche à se venger.

Méralda dut fournir un violent effort pour ne pas paraître affligée.

L'Épine Dorsale du Monde
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